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Lire Giorgio Bassani

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Je ne sais si j’aurais autant apprécié ce livre, s’il ne m’avait couté autant d’efforts pour le lire en italien avec l’assistance de la traduction en vis-à-vis. Peut-être que le vrai effort à déployer, quand on est un grand lecteur n’est pas de se soigner, mais de lire plus lentement certains livres. L’institution scolaire nous a laissé certaines connaissances, et certain capital en friche, dont celui des langues. Je pense que beaucoup de gens, tout comme moi, n’ont su quoi faire de leurs heures passées à apprendre les langues dans le second degré, et n’ont guère voyagé dans les pays où on les parle.

Ce qui ne m’a pas servi s’est transformé en une sorte de jeu, je tiens sur ma table de nuit des éditions bilingues diverses. Je croyais avoir tout oublié de l’allemand, je me suis rendu compte qu’à la fois je n’en savais plus rien, et tout ce qu’il fallait pour pouvoir le lire avec l’aide d’une traduction, déchiffrer ses constructions complexes, où l’on cherche le verbe, et pouvoir ainsi me l’approprier. Bernard Schlink est plus touchant dans sa langue originelle, même si j’ai apprécié plusieurs de ses livres en français. Il y a quelque chose de plus direct, sans médiation. De même, après avoir étudié l’italien par moi-même avec des cassettes, j’ai lu Pavese, le bel été, le livre préféré de Annie Ernaux, et les lunettes d’or de Giorgio Bassani.

C’est une lecture lente, à raison d’une page par jour, mais qui permet d’arriver au bout de romans courts dans un temps raisonnable. Comme une goutte qui creuse la pierre, on peut ainsi découvrir, et dans leur langue, 4 écrivains par an, ce qui est considérable compte tenu des capacités de lecture réelles de mes contemporains.

Bassani, c’est un peu Proust, mais il est moins « précieux » et son style est quand même plus simple. Les lunettes d’or, c’est l’histoire d’un vieil homosexuel, le docteur Fadigati, dont le célibat interroge la société ferraraise, avant qu’il ne finisse par être complétement rejeté, et connaisse une issue tragique. Contrairement à l’adaptation cinématographique avec Philippe Noiret, l’homosexualité de Fadigati n’est pas le vrai sujet principal, elle sert de contrepoint au traitement des juifs dans la société fasciste, et le narrateur fustige ses parents de ne pas voir venir les lois raciales, le rejet dont ils vont faire l’objet. Bassani présente cet aveuglement et ce manque de lucidité. Bassani, tout comme Proust, a côtoyé les milieux culturels, il fut ami de Pasolini et d’Antonioni. Son univers est celui de Ferrare, décrite tellement en détail, et dans tous ses quartiers, que l’on a le sentiment d’y avoir vécu un moment après avoir fermé le livre. Il reprend des éléments de biographie personnelle, comme le voyage du soir en train, qu’il effectua dans sa jeunesse pour suivre des études. Fadigati est inspiré par l’un de ses enseignants d’histoire de l’art. C’est un monde bourgeois, dont la quintessence est représentée par les Finzi-contini, repliés dans leur palais viscontien. La grande cassure pour Bassani, ce fut le fascisme, contre lequel il s’est engagé, et qui est en arrière-plan de son oeuvre. On le dit bien oublié, mais à le lire, je considère que si c’est vrai, c’est injuste, et qu’il est au contraire l’un des plus grands écrivains italiens.